Alliance : Racontez-nous la genèse de Lormauto. Qu'est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans l'aventure du rétrofit ?
Franck Lefevre : Lormauto est né de ma rencontre avec Sébastien Rolo. Nous sommes partis d’un constat évident : les véhicules thermiques représentent un gouffre environnemental. Dans un monde où les ressources sont limitées, continuer à produire à un rythme frénétique de nouveaux véhicules en négligeant les millions de voitures existantes est un non-sens écologique et économique. Reconditionner et électrifier ces véhicules, un procédé rendu possible grâce à la réglementation de 2020, est une solution bien plus durable et intelligente.
Très vite, nous sommes rejoints par Olivier Zanusso. L’idée est de transformer le modèle actuel de production automobile, non seulement pour des questions de durabilité, mais aussi de souveraineté industrielle. Nous ne voulons plus être esclaves de technologies importées, ou de modèles économiques étrangers, qui détruisent notre tissu économique local.
Quels ont été les premiers défis ?
Les premiers obstacles ont été multiples. D’abord du fait de la réglementation : l'inertie administrative, combinée à un manque initial de reconnaissance, a nécessité un travail acharné pour faire évoluer les mentalités. Pour convaincre un public assez sceptique de l'efficacité et de la viabilité économique de notre modèle, il nous a fallu nous appuyer sur notre expérience collective dans l'industrie.
Mais le véritable défi a été d'ordre technique : il était impératif de démontrer que les véhicules rétrofités pouvaient s’aligner avec les véhicules neufs en termes de performances, et les surpasser en termes d'empreinte écologique et de coût total de possession. Enfin, pour produire efficacement, et à grande échelle, il nous a fallu investir massivement dans une première usine à Caen, conçue pour des opérations industrielles locales et non délocalisables.
Quelles sont les forces et les faiblesses du rétrofit en France ? Comment Lormauto a-t-elle cherché à se positionner sur ce marché ?
La réglementation française est en avance sur le reste de l’Europe : elle autorise une homologation par type, c’est-à-dire qu’homologuer un véhicule donne le droit de produire et commercialiser tous ceux du même type. Mais le manque de clarté des gouvernements est indiscutablement le frein principal. Il rend le financement difficile, car les investisseurs craignent par-dessus tout l’inconstance, et le manque de visibilité. Chez Lormauto, nous avons choisi une stratégie claire : électrifier des véhicules tout en mettant l'accent sur la durabilité et la performance. Nous ne nous contentons pas convertir, nous optimisons les véhicules reconditionnés pour qu'ils soient à la pointe de ce que le marché peut offrir.
Nous militons également pour une amélioration et une clarification du cadre législatif, et œuvrons, en concertation avec d'autres acteurs de l'industrie, pour convaincre du bien-fondé du rétrofit. Se positionner ainsi implique de refuser le greenwashing, et d'insister sur l'importance de résultats tangibles et mesurables : le rétrofit est une démarche concrète, locale, et respectueuse de l'environnement.
Le rétrofit peut-il être moteur de l’électrification des usages ?
Le rétrofit est bien plus qu'un complément aux ventes de véhicules neufs ; il peut être un vecteur majeur de l'électrification des usages. En transformant un parc existant, il permet d'électrifier massivement et rapidement sans contribuer aux nuisances environnementales provoquées par l'extraction et la transformation des matières premières nécessaires à la production de véhicules neufs. Et, contrairement à la production de véhicules neufs, c’est un processus agile, qui ne repose pas sur une chaîne de production longue, et facilement déployable à grande échelle et réplicable en régions.
En outre, il facilite l’accès de tous à la mobilité durable. Électrifier des véhicules souvent déjà amortis économiquement par leurs propriétaires, permet à ceux qui ne peuvent pas investir dans une voiture neuve de participer activement à la transition écologique. Il garantit aussi une diversité de choix pour le consommateur, ce qui est essentiel pour assurer une transition douce et inclusive vers une mobilité zéro émission.
Nous ne nous contentons pas de suivre le courant dominant des ventes de véhicules neufs ; nous prouvons qu'une réutilisation intelligente et respectueuse des véhicules existants peut être une solution centrale à l'électrification des usages.
Lormauto traverse une période difficile. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
En 2022, nous avons connu un succès énorme au Mondial de Paris : toute la presse parle de Lormauto comme du grand espoir français du rétrofit. En 2023, nous obtenons l’homologation de notre première voiture, et mettons au point dans la foulée nos processus industriels pour passer à une production à grande échelle.
En 2024, nous cherchons des financements pour passer à l’étape suivante. La frilosité des investisseurs, qui craignent un revirement politique, nous conduit à contacter celui qui prétend défendre le verdissement des flottes et une stratégie de réindustrialisation : le ministère de l’Industrie dirigé par Marc Ferracci.
Le ministère propose de nous avancer une partie de l’aide octroyée dans le cadre du plan d’investissement France 2030, à condition de leur démontrer que cet effort rassurera effectivement les financeurs. En deux semaines, nous présentons trois lettres d’intentions, qui couvrent largement la somme demandée. Le 30 avril 2025, le cabinet du ministre confirme par écrit que les conditions sont remplies et demande à Bpifrance, opérateur du programme, de procéder au versement. Mais le 2 mai, volte-face : Bpifrance refuse d’exécuter l’instruction ministérielle. Tout avait été validé, les engagements écrits, les financeurs prêts. BPI n’avait qu’à appuyer sur un bouton. A la place, ils ont changé d’autorité le plan prévu avec le ministre.
Pour comprendre pourquoi, il faut remonter à notre rencontre, le 25 février dernier, avec Nicolas Ceria, responsable du Fonds Avenir Automobile (FAA), géré par Bpifrance, et dont l’objectif est « d’accélérer la croissance et la capacité d’innovation des sous-traitants automobiles français pour faire émerger des entreprises plus solides et plus rentables ». Au cours de ces échanges, plutôt tendus, les membres du FAA nous ont très clairement indiqué que « le rétrofit n’a aucun intérêt industriel » et « qu’il serait plus judicieux d’importer des voitures étrangères pas chères ». L’opérateur financier de l’État nous explique donc que sa politique va à l’encontre de celle défendue par la Ministre ! Les raisons de cette position sont difficiles à cerner, mais il y a au moins un conflit d’intérêt : Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, est aussi administrateur chez Stellantis. Un mélange des genres qui interroge. Comment une institution publique peut-elle à la fois être opérateur de subventions, investisseur, et gestionnaire de fonds alimentés par des concurrents industriels ? Cette séquence démontre les effets nocifs de la puissance excessive des lobbies auprès de nos institutions politiques, et de l’absence de clarté de celles-ci en matière de vision de la mobilité de demain.
Le 19 mai 2025, faute de financement, Lormauto dépose le bilan. Le 21, l’entreprise est liquidée. Les salariés perdent leur emploi, et l’usine pensée pour être répliquée sur différents territoires est fermée.
Comment envisagez-vous l'avenir du rétrofit, et celui de Lormauto ?
L'avenir du rétrofit est prometteur, mais il nécessite une volonté politique et industrielle coordonnée. Alors que les mentalités commencent à évoluer vers une prise de conscience accrue des enjeux environnementaux, le rétrofit s’impose comme une solution pragmatique et immédiate. Cependant, pour que cette technologie s’épanouisse, il est crucial de lever les freins réglementaires et d’offrir des incitations fiscales aux consommateurs. Communiquer auprès du public sur les bénéfices concrets, économiques et écologiques, du rétrofit est également essentiel.
Des politiques plus éclairées, couplées au soutien du secteur économique privé, permettront de faire du rétrofit une nécessité pour tout programme de transition écologique. La clé du succès réside dans la transformation collective de notre mobilisation individuelle en action concertée.