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A propos des voies réservées - le mot de Jean-Pierre Orfeuil

Ingénieur et statisticien de formation, Jean-Pierre Orfeuil a travaillé une vingtaine d’années à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) où il a dirigé la Division Économie de l’Espace et de la Mobilité. En 1998, il devient professeur en aménagement à l’École d’Urbanisme de Paris et à l’IAE Gustave Eiffel. Depuis 2000, il est conseiller externe à l’Institut pour la ville en mouvement-Vedecom. Membre du Conseil Scientifique de l'Alliance, il propose ici quelques éléments de réflexions autour de la voie réservée.

Ingénieur et statisticien de formation, Jean-Pierre Orfeuil a travaillé une vingtaine d’années à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) où il a dirigé la Division Économie de l’Espace et de la Mobilité. En 1998, il devient professeur en aménagement à l’École d’Urbanisme de Paris et à l’IAE Gustave Eiffel. Depuis 2000, il est conseiller externe à l’Institut pour la ville en mouvement-Vedecom. Membre du Conseil Scientifique de l'Alliance, il propose ici quelques éléments de réflexions autour de la voie réservée.

La moitié de la France (une trentaine de millions de personnes) vit hors des grandes agglomérations (définies ici comme les agglomérations de plus de 50000 habitants.). En l’absence d’alternatives ferroviaires, elle n’a le plus souvent d’autre choix, pour accéder aux services essentiels et à l’emploi, que d’utiliser la voiture. Pour limiter cette dépendance à l’automobile, et en particulier réduire la part de l’autosolisme, il est impératif de proposer à ces populations une offre de report comme les cars express ou le covoiturage – sans pour autant renoncer à équiper au mieux leurs territoires.

Toutefois, gardons à l’esprit l’essentiel, et ne tombons pas une fois de plus dans le fétichisme de l’équipement : il est essentiel de nuancer la question des voies réservées qui se profile derrière. Issus de 34 000 communes différentes, et à destination de plus d’une centaine d’agglomérations distinctes, il est plus que probable que dans la très large majorité des cas, il n’y ait nul besoin de voies réservées, et que pour la part restante, ce besoin se limite à quelques tronçons et plages horaires.

Par exemple, la durée de parcours d’un service de 30 km, dont 20 sur autoroute non congestionnée à 80 km/h, 5 sur autoroute congestionnée à 40 km/h et 5 en ville à 15 km/h diminue de 43 à 39 mn en cas de voie réservée sur les 5 km d’autoroute congestionnée. L’intérêt principal est la régularité et la prévisibilité du temps de parcours. Le gain de temps ne représente que 10 % d’un temps à bord où l’on peut se détendre, lire, ou travailler. 4 minutes de plus si les arrêts de bus sont mal situés par rapport à l’entrée de la gare ou du métro sont nettement plus pénalisants.

Cet aspect doit donc être relativisé, et surtout ne pas occulter d’autres sujets de gestion de voirie, comme les priorités aux feux pour les parties urbaines des trajets, la qualité de l’accès aux gares, métro, ou tramways, ou encore l’emplacement et la qualité des services dans les parcs de rabattement en zone peu dense.

La question des voies réservées n’est, la plupart du temps, pas un sujet, alors que celle, trop peu abordée, du financement des services de cars (qui, par leur nature traversent des périmètres institutionnels ), en est un, bien plus important et bien plus bloquant. Dans la plupart des cas, ces services relient des communautés de commune ou de petites intercommunalités urbaines à des communautés urbaines, des communautés d’agglomération ou des métropoles.

Les « voies réservées », qu’il serait préférable d’appeler « à fluidité garantie », ont un bel avenir devant elles. D’abord parce qu’elles sont très utiles aux services d’urgence . Ensuite parce qu’elles permettent de traiter différemment les usages que l’on souhaite voir se développer (car express, covoiturage, véhicules électriques, petits véhicules urbains, etc.) et les usages traditionnels, sans recourir à une sélection par l’argent, mal perçue en France.

Toutefois, il paraît peu judicieux de conditionner la mise en place de services de car express à l’existence de ces voies.

Pour des raisons techniques tout d’abord. La mise en place d’une voie réservée entraîne des délais et des coûts qui peuvent peser lourdement sur les petites collectivités. A titre d’exemple, la voie dédiée aux bus de l’A10 a nécessité 3 ans (dont 18 mois de travaux), et un budget de 11 millions d’euros, pour un tronçon de 3,3 km. Ce qui semble justifié dans ce cas, où elle accueille 10 lignes de bus différentes, ne l’est pas nécessairement dans d’autres.

Pour des raisons politico-économiques ensuite. La faible capacité des véhicules (quelques places dans les voitures de covoitureurs et quelques dizaines dans les cars, alors que les trains en comprennent plusieurs centaines) permet de proposer des fréquences élevées, même lorsque la densité est faible. Néanmoins, leur pertinence reste à évaluer au cas par cas : il est probable que l’on aura à la fois de très belles réussites en termes de clientèle, et quelques échecs. Dans un contexte de tension sur le budget, et de défiance à l’égard des pouvoirs publics, il paraîtrait pertinent d’informer les usagers qu’un terme sera mis à l’exploitation si les espoirs de clientèle sont déçus (ce qui peut également se révéler une incitation à l’usage), d’autant plus que l’absence d’investissement lourd en infrastructure facilite grandement cette issue.

Le développement de ces services est une opportunité de substituer aux approches surplombantes habituelles dans le secteur des transports publics, une approche partagée de la mobilité où la rencontre d’une offre et d’une demande proportionnée devient le critère de maintien du service : le politique se soumet ainsi à l’adhésion effective des citoyens. Chaque groupement de collectivité pourrait ainsi fixer son propre critère pour maintenir, ou supprimer, le service – par exemple un financement public au passager-kilomètre transporté inférieur à celui des TER.
Des raisons d’ordre socio-politiques, enfin. Les voies réservées ne s’envisagent, par définition, que sur les tronçons sujets aux congestions récurrentes. Pour éviter que les automobilistes pris dans ces embouteillages soient excédés par le retrait d’une voie de circulation, il est crucial de montrer qu’elle contribue à alléger le trafic. En règle générale, une ligne de car seule n’y suffit pas (un car toutes les 10 minutes équivaut, au mieux, à 300 véhicules en moins par heure). Il est donc nécessaire, comme c’est le cas pour l’A10, d’y faire converger plusieurs lignes, ainsi qu’une certaine masse de covoitureurs. On pourrait également envisager d’en ouvrir l’accès à d’autres véhicules, tels que les voitures électriques, et contribuer ainsi à stimuler un marché qui peine à progresser.

Pour que la mise en place de voies réservées se fasse dans un contexte apaisé, il semble donc indispensable de s’inscrire dans une logique servicielle : d’abord établir des services de cars, puis, ensuite, décider des bénéficiaires potentiels d’une éventuelle voie dédiée.

Jean-Pierre Orfeuil

Publié le 22 octobre 2024

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