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Saisir les enjeux environnementaux par les territoires

Et si la vraie difficulté des politiques environnementales n’était pas de convaincre, mais de s’adapter aux spécificités locales ? Conduite par Project Tempo et l’Institut Terram, une enquête nationale s’est attachée à cartographier l’adhésion des Français à la transition écologique. Et pour la mobilité ?

Et si la vraie difficulté des politiques environnementales n’était pas de convaincre, mais de s’adapter aux spécificités locales ? Conduite par Project Tempo et l’Institut Terram, une enquête nationale s’est attachée à cartographier l’adhésion des Français à la transition écologique. Et pour la mobilité ?

Mobilité et transition écologique, une fracture territoriale à dépasser

La dimension territoriale est en effet encore rarement mobilisée comme facteur explicatif à part entière ; un angle mort d’autant plus problématique que la société française est aujourd’hui traversée par des fractures spatiales majeures qui influencent les attentes environnementales – un constat d’autant plus pertinent sur la question de la mobilité, et dont la crise des Gilets jaunes a révélé toute l’acuité.

À partir d’une méthodologie de régression multiniveau avec post stratification (MRP), l’étude croise données d’opinion et caractéristiques sociodémographiques locales pour dresser un portrait fin des attitudes à l’échelle communale, et montrer les écarts profonds dans les manières dont les Français vivent, perçoivent et évaluent la transition écologique.

Les préoccupations environnementales transcendent les territoires : 72% pour les communes de plus de 2000 habitants, et près de deux tiers des habitants des zones rurales (65 %) estiment que la France doit se doter de mesures fortes pour lutter contre le dérèglement climatique. Un chiffre qui vient déconstruire un stéréotype encore trop répandu dans le débat public : celui d’un monde rural désintéressé, voire réfractaire à l’écologie.

Toutefois, ce consensus de principe se fissure dès lors dès que la transition se décline en mesures concrètes, surtout lorsqu’elles impliquent des efforts individuels.

Des lignes de fracture majeures apparaissent ainsi autour de la question de la mobilité: loin d’être un enjeu purement technique, elle matérialise les tensions entre ambition environnementale et justice territoriale. L’interdiction de la vente des voitures essence et diesel est ainsi jugée efficace par 45 % des Parisiens et 41 % des habitants des grandes villes, mais seulement 33 % des habitants de communes rurales. Ce clivage traduit toutefois moins une opposition idéologique qu’une inégalité d’accès aux solutions de mobilité durable ; le coût individuel et les changements contraignants dans le quotidien apparaissent ainsi comme le premier frein à l’adhésion aux politiques de transition.

Si les mesures perçues comme productives et redistributives, telles que le soutien à la mobilité électrique locale ou le développement des transports collectifs recueillent un large assentiment, les mesures plus contraignantes, comme l’interdiction des véhicules thermiques ou les hausses de prix liées à la fiscalité écologique cristallisent le sentiment de sur-sollicitation des espaces ruraux, et celui d’injustice perçue : dans les territoires fragilisés économiquement, beaucoup ont le sentiment que la transition leur est imposée, alors qu’ils n’en sont ni les premiers responsables, ni les principaux bénéficiaires.

Dans un environnement où la dépendance à la voiture individuelle, marqueur d’autonomie résidentielle, reste forte, et où les marges d’adaptation sont perçues comme plus faibles, faute d’alternatives crédibles, ces politiques sont vécues comme une suite d’injonctions venues d’en haut, et difficilement applicables localement.

On retrouve là le paradoxe central des politiques de transition en matière de mobilité : ce sont précisément les territoires où la dépendance à la voiture est la plus forte qui sont les moins dotés en solutions alternatives viables. Or, le développement de réseaux de transports collectifs dans les zones peu denses se heurte à des contraintes économiques structurelles, liées à la rentabilité, aux coûts d’exploitation, et aux faibles densités de population. Alors même que la capacité réelle à modifier ses comportements dépend fortement des infrastructures disponibles : sans conditions matérielles favorables, l’action reste théorique. Ainsi, bien que 61 % des Français affirment qu’ils utiliseraient davantage les transports publics si l’offre locale était améliorée, une analyse géographique fine invite à nuancer cette apparente homogénéité nationale qui ne dit rien de la faisabilité concrète de ce basculement modal.

En affinant l’analyse aux seules communes de plus de 5 400 habitants, seules une trentaine d’entre elles atteignent le seuil de 60 % de répondants favorables à une telle évolution.

La transition vers la voiture électrique représente un pilier des politiques de décarbonation des mobilités. Mais là encore, les dynamiques d’adhésion sont loin d’être homogènes : si l’électrification de la mobilité, ne suscite pas d’opposition de principe, elle demeure pour l’instant essentiellement urbaine, freiné ailleurs par le coût, le manque d’infrastructures et l’inadéquation aux modes de vie locaux. Les communes où plus de 40 % des habitants déclarent souhaiter passer d’un véhicule thermique à un véhicule électrique sont extrêmement minoritaires, et très majoritairement situées dans les grandes métropoles : 31 % des habitants de communes de plus de 100 000 habitants, et 39 % des habitants de l’agglomération parisienne déclarent vouloir passer à l’électrique, contre seulement 26 % des habitants des zones rurales. Un écart qu’on retrouve sur la question des subventions à l’achat, jugées efficaces par 58 % des habitants de l’agglomération parisienne, loin devant les ruraux (48 %).

Cet ancrage urbain est aussi imputable à une exposition plus directe à la pollution atmosphérique, qui rend les bénéfices de l’électrification plus tangibles.

Ces différences d’appréciation ne sont pas anodines : elles structurent de manière décisive la volonté d’engagement individuel dans la transition.

Face à ces constats, l’étude plaide pour une écologie « sur mesure », construite localement et pilotée par les élus de terrain. Elle relève en effet une forte demande de territorialisation des politiques publiques : bien que le soutien à des politiques décidées à l’échelle nationale reste fort, il est conditionné à leur capacité à s’articuler avec les réalités vécues localement. Un besoin d’ancrage dans des logiques de proximité qui se matérialise par une forte attente vis à vis des élus locaux, dont beaucoup considèrent qu’ils devraient avoir plus de pouvoir pour piloter localement la transition écologique.

La réussite de la transition écologique dépendra de la capacité à territorialiser les politiques de mobilité, à renforcer l’équité d’accès aux solutions durables et à associer étroitement les citoyens et leurs représentants locaux à la définition des trajectoires de changement, conclut l’étude.

La mobilité, loin d’être un simple levier technique, apparaît ainsi comme le révélateur et le catalyseur d’une transition écologique réellement partagée et acceptée.

Publié le 3 juillet 2025